Si vous voulez savoir comment je travaille !
DLR Performances
Je profite de cette réalisation pour partager avec vous quelques « angles d’attaque » de mon travail. Un travail fait de calculs, de réflexions, mais également basé sur les échanges, l’expérimentation et l’expérience acquise au fil des années. Le tout ponctuée d’une mise en œuvre requérant une grande rigueur, beaucoup de précision et une bonne dose de détermination.
Comme pour tout travail d’optimisation ou de préparation, cette histoire commence par plusieurs échanges au téléphone avec un passionné, à savoir ici, Jean-Claude qui possède un superbe GTV6 2.5l.
Cet exemplaire est très spécial dans le sens où, absolument tout sur cette voiture a été préparé de manière à ce qu’elle lui procure un plaisir unique et exacerbé. En l’espèce, il s’agit d’une strict 2 places, arceautée dans le plus pur style « Club Sport », un peu à l’image de mon GTV6 rouge, mais en plus exclusif encore. De très gros freins sont installés sur les fusées avant, des ensembles disque / étriers sont greffés sur le De Dion. L’auto est également équipée de grosses jantes Team Dynamic en 17 pouces chaussées de pneus semi-slick. La caisse est quant à elle, suspendue par des éléments racing rigides. L’intérieur n’est pas en reste avec le reconditionnement complet des panneaux, des moquettes et des sièges baquet, à l’aide de cuir et d’alcantara dans des tons de gris, du plus bel effet. Pour compléter ce combo, un pommeau de levier de vitesse vissé sur un levier planté dans une grille de sélection type FERRARI des années 80 – 90, actionne une boite à vitesses préparée (débattements réduits et rapports courts). L’instrumentation est quant à elle confiée à des compteurs Racetech. S’agissant de la motorisation, le V6 2.5l a été préparé il y a très longtemps avec des pistons et bielles forgées. Ce moteur respire à l’aide d’un gros débitmètre de BMW M 635 CSI et il est équipée de répliques de collecteurs SODEMO et d’une ligne d’échappement réalisée sur mesure. Cette ligne est par ailleurs munie d’une valve télécommandée permettant de shunter le silencieux arrière et de rouler en presque échappement libre. Bref, il s’agit là d’un exemplaire absolument unique.
Toutefois, lors de ces échanges, Jean-Claude me fait part de soucis de pertes de puissance et de cliquetis de son moteur lorsqu’il chauffe et donc, à fortiori, lorsque la température extérieure est élevée, ce qui est souvent le cas sur la côte d’azur, là où circule ce beau GTV6. Ceci étant dit, indépendamment de ce souci moteur, Jean-Claude me dit aussi qu’il souhaiterait disposer d’une puissance plus importante que les quelques 200 ch que sort ce 2.5l lorsqu’il fait frais. Par conséquent, Jean-Claude me fait part de son ambition de remplacer son 2.5l 12V par une version 3.0l 12V préparée.
Dans un premier temps, je cherche à comprendre pourquoi son moteur rencontre de tels soucis. Alors oui, avec des rapports volumétriques élevés, le cliquetis se manifeste le plus souvent à pleine charge lorsque le moteur chauffe et qu’il n’est pas refroidi correctement. Mais aussi, lorsque la courbe d’avance n’est pas optimisée, c’est-à-dire programmée. Car, c’est bien l’un des soucis de l’injection L-Jetronic à savoir qu’il n’est pas possible de piloter l’avance lorsque le rapport volumétrique augmente. En d’autres termes, avec un R/V élevé, si le refroidissement du moteur n’est pas optimum et que l’avance n’est pas optimisée sur toute la plage de régime, alors le cliquetis se manifeste rapidement à pleine charge, bridant ainsi le moteur qui ne donne alors plus son plein potentiel.
Il me propose donc de préparer ce nouveau moteur qui pourrait potentiellement sortir entre 240 et 250 CH à haut régime, en me confiant que mon approche qui consiste à étudier et expliquer systématiquement tous les choix techniques, lui plaît beaucoup.
Après réflexion, j’accepte de prendre en charge cette préparation, même s’il s’agit d’un travail compliqué et que plus que jamais, il convient de rester humble. Néanmoins, ce n’est pas le premier gros moteur que j’optimise et j’ai bien conscience de toutes les problématiques auxquelles j’aurais à faire face. En outre, j’apprécie ces missions exigeantes car pour grandir, progresser et continuer d’emmagasiner de l’expérience, il faut savoir sortir de sa zone de confort que constitue une « simple » réfection moteur. Même si, là encore, il faut rester humble du fait que chaque moteur présente des natures d’usure qui lui sont propres et qui sont le résultat de la façon dont il a été utilisé et entretenu.
Alors, pour ne pas reproduire le schéma de fonctionnement du 2.5l actuel, ou de produire un résultat plus décevant encore, il convient de travailler en plusieurs étapes et d’adopter une stratégie par étapes :
- Il faut effectivement œuvrer sur une base de V6 3.0l 12V, intrinsèquement plus coupleux que le 2.5l 12V ;
- Il convient de roder ce moteur en injection L-Jetronic avec un faible niveau d’avance à l’allumage, le temps de le stabiliser mécaniquement (puissance limitée). Cela signifie que le moteur doit d’abord fonctionner avec une admission bridée avec les pipes d’admission + le boitier L-Jetronic + la rampe d’injection basse impédance ;
- Puis, une fois rodé, upgrader ce moteur en injection programmable pour exploiter tout son potentiel à l’aide d’une programmation fine de l’avance à l’allumage sur toute la plage de régime. Ce passage s’accompagnera alors du montage de pipes d’admission de gros diamètre faites sur mesure et d’une rampe d’injection haute impédance (utilisation d’injecteurs ayant un débit plus important).
Concernant le cliquetis, c’est un véritable travail d’équilibriste qu’il convient d’effectuer car pour conserver un maximum de puissance, il faut caler l’avance à un seuil situé juste avant que n’apparaisse le phénomène, et ce, sur toute la plage de régime. On comprend alors la nécessité d’un travail en étroite collaboration entre celui qui prépare le moteur et celui qui a la charge de régler la MAP sur le banc de puissance.
S’agissant des choix techniques, voici quelques solutions retenues pour le cahier des charges :
- Réalésage des chemises et passage à la cylindrée de 3023 cm3 (+ 64 cm3 par rapport à la cylindrée d’origine) ;
- Utilisation de pistons forgés ayant un R/V de 11.5 : 1 ;
- Utilisation d’arbres à cames Colombo & Bariani RACE MEDIUM 300°, ayant un fort croisement permettant un balayage important à haut régime, avec pour cela, une levée des soupapes au PMH de 4.0 mm ;
- Grattage des culasses obligatoire ;
- Utilisation de soupapes Groupe A ;
- Préparation des semelles Motronic et installation de pipe d’admission de diamètre 43.0 mm pour le passage en injection programmable ;
- Préparation du bloc moteur permettant de recevoir l’injection programmable. Il faut donc une poulie crantée, un carter avant pouvant accueillir un capteur de position du vilebrequin ;
- Utilisation de poulies d’arbres à cames réglables permettant le calage précis des cames ;
- Mise en œuvre de toutes les solutions techniques permettant de réduire le risque de cliquetis ;
- Enfin, et cela paraît logique, utilisation d’essence SP98 minimum sur route et si possible de l’essence compétition sur circuit Open, comme, par exemple, la PANTA qui offre un indice RON de 102.
Tout le secret du bon fonctionnement de cette configuration réside ensuite dans les nombreuses modifications des culasses permettant de garantir un fonctionnement optimum du moteur, tout en gardant les marges de sécurité nécessaires pour conserver un bon niveau de fiabilité.
Mon travail consiste alors à déterminer et à produire le juste équilibre entre les PERFORMANCES (ce que recherche le client) et la FIABILITÉ (ce que je souhaite garantir).
Remarque :
L’utilisation d’arbres à cames RACE offrant un Overlap important, ici de 92°, entraîne logiquement un ralenti chaotique, instable et relativement élevé. En revanche, le balayage induit à haut régime par la forte levée des soupapes au croisement, permet d’accroitre sensiblement le remplissage à haut régime. Il faut bien avoir cela en tête avant de choisir de tels arbres à cames.
En l’état, cette configuration doit être capable, in fine, de produire un niveau de puissance compris entre 240 et 250ch à un régime de puissance situé entre 7000 et 7500 RPM.
Sachant que, par choix avec Jean-Claude, le maxi admissible par le moteur sera de 7400 RPM avec des bielles Alfa Romeo.
Une fois le cahier des charges rédigé et le devis partagé et accepté, il convenait ensuite de trouver le bon moteur.
Dans le cadre de ses recherches, Jean-Claude est contacté par un Alfiste vendeur d’un V6 3.0l 12V soi-disant d’Alfa 75. Ce moteur est entièrement démonté et serait, selon ce vendeur, en parfait état et complet. À noter que cette personne vendait également en parallèle, un moteur V6 3.0l 12V d’Alfa 75 préparé en Italie. Ils firent affaire mais lorsque je reçu ce moteur, il s’avèrera qu’il s’agissait d’un bloc de V6 3.0l d’Alfa 164 muni de culasses de 164 dont il ne restait strictement rien dessus. Cet ensemble était accompagné d’un patchwork de pièces issues de la préparation du moteur italien et de pièces complémentaires provenant d’un V6 2.5l.
En clair, le préparateur italien avait refait un moteur V6 3.0l de 75 avec les meilleures pièces provenant de 2 moteurs, celui d’une 75 V6 (bloc et culasses) et un autre venant d’une 164 et il avait redonné à son client toutes les pièces non utilisées (certainement les moins bonnes), lequel client voulu alors gagner quelques centaines d’euros sur le dos d’un « collègue » Alfiste. Aussi, Alfiste ou pas, la mauvaise foi est souvent d’actualité et les arnaqueurs n’ont décidément aucune religion.
Ma mission devenait alors de faire d’un « patchwork de pièces » issu d’une configuration 12 soupapes d’Alfa 164 et de GTV6, un moteur V6 3.0l 12V à la fois beau, performant et fiable. En clair, une véritable gageure. Mais cela fait aussi partie du métier !
Je me suis alors mis au travail en commençant par effectuer l’inventaire des pièces disponibles. J’en ai déduit toutes celles qui me manquaient et j’ai fait fonctionner le réseau pour les trouver. En parallèle, j’ai pris le temps d’expertiser le bloc et les culasses, cet ensemble constituant alors ma « sainte » Matière Première.
Je vous partage la suite du montage du moteur à l’aide de quelques images.
L’ancien moteur V6 2.5l préparé il y a 20 ans :
Ses compressions témoigent d’une usure relativement importante :
Je reçois un patwork de pièces avec lesquelles je dois reconstruire et préparer un V6 3.0l :
C’est parti pour la reconstruction :
Premère ouverture après deux heures de fonctionnement :
Les deux premières heures du rodage sont très importantes ! Si le montage est assemblé au petit oignons alors seul un dépôt micrométrique foncé doit coller à l’aimant du bouchon de vidange.
Par ailleurs, les contraintes sont telles, notamment avec des pistons HC, que durant ces premières heures, l’huile de rodage s’oxyde assez rapidement.
En l’espèce ici, j’ai procédé à une première vidange.
Le client se charge ensuite d’effectuer un rodage “routier” après ces deux premières heures de fonctionnement.
Une fois le moteur installé dans son compartiment, quelques mots à propos de la phase de démarrage ?
Le premier démarrage d’un moteur s’apparente à la naissance d’un enfant. Un mélange d’anxiété et d’excitation m’anime à chaque fois, même quand il s’agit d’une simple réfection de culasse.
Toujours cette même nécessité impérieuse d’humilité que tout bon mécano doit avoir pour produire un travail de qualité. Ais-je tout bien fait ? N’ai-je rien oublié ? Je me pose alors toujours les mêmes questions et l’imagerie cérébrale fonctionne alors à plein. Voilà pourquoi, chaque opération doit être vérifiée 2 ou 3 fois minimum. Car, au moment de tourner la clé, il est évidemment trop tard pour vérifier le couple de serrage des vis de bielle. Celui qui fonce tête baissée est quasiment certain de se planter.
Les premiers soubresauts sont un peu difficiles à l’instar d’un enfant naissant qui, parfois, n’a pas toujours les réflexes de respirer et de pleurer. Là, il faut que la pression d’essence monte suffisamment dans la rampe d’injection. J’actionne le démarreur et … Broumm le moteur démarre ! Ralenti accéléré obligatoire au début pour éviter les calages intempestifs. Ces premiers tours de vilebrequin sont importants car ils permettent de libérer certaines contraintes résiduelles emmagasinées dans l’attelage mobile. Mettant en pression le circuit de graissage avant la remise en route du moteur, la pression d’huile grimpe immédiatement. Sur un moteur refait à neuf, elle est naturellement élevée. Durant les premières minutes, les collecteurs fument et la ligne d’échappement crache de la fumée bleue (combustion de l’huile utilisée pour le montage des pièces), puis un peu blanc (vapeur d’eau), puis, plus rien, plus aucune fumée. La tension commence alors à retomber.
Après le démarrage, vient alors la phase de réglage du moteur. L’expérience et l’habitude sont autant d’aides précieuses, tout comme les bruits que renvoient la distribution et les organes de transmission. Tous ces bruits m’indiquent clairement si tout est normal et me disent quoi régler.
Fin de la digression !
S’agissant de ce GTV6, les premiers tours de roue sont jouissifs et assez impressionnants. Malgré des réglages conservateurs, le couple est là et dès 2500 tours/min, le moteur produit une force brute importante. Associées à une boite très courte, les reprises en 4ème me font douter du rapport engagé avec l’impression d’être en 2ème. Chose qui n’arrive pas sur un GTV6 de série, avec un couple conique natif en 10×41 ou plus court en 10×43. Comme prévu, le réglage de l’avance est un exercice d’équilibriste mais une fois bien calé, tout fonctionne correctement. Pas de cliquetis, pas de fuite, pas de claquement. Les cames d’échappements ne « tricottent » pas comme j’ai l’habitude de dire et le moteur chauffe normalement.
Le moteur est aujourd’hui réglé pour compléter la première phase dédiée au rodage et à la mise en place mécanique de l’attelage mobile et des organes de transmission. Le ralenti est élevé, un brin chaotique, mais une fois passé les 2000 tours/min, ce bloc ambitionne clairement de catapulter ce GTV6 vers le haut du compte-tours. Pour autant, il est aussi utilisable dans embouteillages et la progression lors de la remise de gaz, depuis le ralenti, s’effectue sans raté.
Mais attention ! Durant le rodage, pas question de dépasser les 4500 tours/min et pas question d’ouvrir en grand le papillon des gaz. Dans 1000 km, ce sera la deuxième vidange avec la vérification de la nature des dépôts éventuels sur l’aimant du bouchon de vidange.
Ensuite, en route pour le Mapping programmable sur banc de puissance. Mais ça, c’est une autre histoire !
Chaque mission que vous me confiez est unique et constitue un attrayant challenge à relever ! Et c’est bien cela qui me passionne dans ce métier. Redonner vie et/ou du muscle à ces moteurs ALFA ROMEO, à la fois nobles et vénérables.
Aussi, n’hésitez pas à me proposer vos projets de réfection ou d’optimisation de vos moteurs.
À bientôt,
David LENABOUR
DLR Performances
0630671797
Bonus :
Les pièces nécessaires pour le passage en injection programmable après la phase de rodage :
Photos de la magnifique et unique Alfetta GTV6 de Jean-Claude :